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Seniors et Silver Economie : qu’attendent les banques pour capter le phénomène ?

La "banque des seniors" concernera 30% de la population française en 2030. Pourtant, et malgré une évolution démographique majeure, les banques se saisissent timidement des enjeux de la Silver Economie. Découvrez l'analyse de nos experts Talan Consulting.

Par Isabelle AUTIER BURY, Senior Manager et Mike HOMMEZ, Consultant junior chez Talan Consulting


Les chiffres sont sans appel, nous sommes face à une vague de « cheveux blancs » : les plus de 60 ans sont aujourd’hui 17,5 millions et seront 20 millions en 2030, soit un tiers de la population française.

Du point de vue économique, les enjeux de cette transition démographique sont colossaux et ce que l’on nomme la Silver Economie représentera 130 000 milliards d’euros en 2030[1].

Malgré ces projections statistiques implacables, les banques se saisissent timidement de la thématique des séniors. Pourtant, la mobilisation autour de cette transition démographique est un défi majeur que les établissements bancaires ne peuvent pas ignorer : rôle sociétal, nouvelles opportunités de développement, etc.

Par ailleurs, l’évolution notable du profil de consommateur des seniors ouvre une multitude d’opportunités, liées à de nouveaux besoins et à de nouvelles attentes.

Alors que les banques débordent de créativité pour attirer la clientèle étudiante et celle des jeunes actifs, quelles pourraient être les raisons de ce manque d’intérêt pour la population des séniors ?

 

Le phénomène de la Silver Economie

 

Des seniors en meilleure santé, actifs plus en plus longtemps

Qui sont les « Seniors » ? Il s’agit généralement des plus de 60 ans, parmi lesquels on distingue le troisième âge (60-70 ans) du quatrième âge (plus de 80 ans). En entreprise, les plus de 45 ans entrent déjà dans cette catégorie.

Il s’agit donc un très vaste ensemble d’individus dont les besoins et comportements diffèrent largement par sous-catégorie, et encore plus si l’on compare à la population des seniors d’il y a trente ans.

En effet, les progrès médicaux et l’amélioration de la qualité de vie ont permis une augmentation de l’espérance de vie. Quelques chiffres emblématiques permettent d’illustrer cette évolution : en 2021, l’espérance de vie était de 85,4 ans pour une femme (contre 81,8 ans an 1994) et de 79,3 ans pour un homme (contre 73,6 ans en 1994). Ainsi, une femme de 60 ans a encore une moyenne de 25,4 ans à vivre. Mais bien au-delà de la longévité, on note surtout que l’espérance de vie en bonne santé n’a cessé de croitre.

Les Séniors restent donc actifs plus longtemps et attendent du marché des offres de biens et services adaptés à leurs besoins.

 

60 ans, la liberté retrouvée ?

Les enfants sont élevés, ils sont autonomes, ont quitté le domicile. La retraite est (presque) là et avec elle, du temps ! Aujourd’hui, 20% des séniors déclarent consacrer plus de 12 heures par semaine à leurs loisirs. Le 3ème âge se réinvente et les plus de 60 ans revendiquent leur place de citoyens actifs et productifs.

 

Profiter de son pouvoir d’achat

Les revenus des séniors sont supérieurs de 30% à la moyenne nationale[2].

En effet, les séniors en fin carrière sont généralement au maximum de leur rémunération (avant retraite). Par ailleurs, certaines charges récurrentes, qui représentaient un poids important dans le budget des familles, diminuent ou disparaissent (prêt immobilier à échéance, départ des enfants, etc.). Enfin, les plus de 60 ans peuvent toucher des successions qui viennent accroitre leur patrimoine. En France, l’âge moyen des héritiers tourne autour de 50 ans, contre 40 ans dans les années 1980. Avec le vieillissement de la population, il devrait atteindre 58 ans en 2050.

Ainsi, d’après l’Insee, en 2018, le patrimoine moyen net des 60-69 ans est de 315 200 € contre 38 500 € pour les moins de 30 ans[3].

 

Affronter de nouvelles difficultés

La récente pandémie ou la guerre en Ukraine ne viennent qu’illustrer un impondérable : l’avenir est incertain. Cette instabilité est par ailleurs renforcée par un marché de l’emploi plus volatile et une multiplication des « accidents de la vie » (divorce, licenciement, etc.).

Dans ce contexte qui touche particulièrement les (jeunes) actifs d’aujourd’hui, quel est le rôle des seniors ? Les parents, les grands-parents sont davantage sollicités pour accompagner les plus jeunes qui ne bénéficient plus du contexte favorable des Trente Glorieuses.

Dans le même temps, les séniors du troisième âge sont aujourd’hui face à l’accompagnement de leurs propres parents dans le quatrième âge, parfois dépendants. Ils deviennent des « aidants », situation douloureuse dans laquelle ils sont souvent démunis.

 

Le force du nombre : le phénomène de la Silver Economie, nouvel eldorado ?

En 2015, 54% des dépenses réalisées en France provenait des plus de 55 ans. D’ici 2030, on estime que les seniors de plus de 60 ans seront à l’origine de 60% de la hausse de la consommation à venir. D’ailleurs, les Ministères de l’Economie et des Finances et des Affaires sociales et de la santé le soulignait déjà en 2013 : « Les nouveaux besoins économiques, technologiques et industriels liés à l’avancée en âge ouvrent un champ vaste pour l’économie et l’industrie dans nos pays ».  

En effet, face une transition démographique sans précédent, il est indispensable que la société dans son ensemble se saisissent de cette nouvelle situation. De nouveaux métiers, de nouveaux secteurs d’activités se développent (ou doivent se développer), sources d’innovation, et produisant la création de nouvelles entreprises et l’émergence de nouveaux métiers.

Aussi, les banques ont devant elles un boulevard pour développer des offres et des circuits de distribution dédiés aux séniors. Mais au-delà du simple enjeu business, les banques ont un rôle sociétal fort à jouer pour accompagner la transition démographique et financer le développement de la Silver Economie. Il convient donc d’initier une refonte bien plus ambitieuse pour combler l’écart générationnel souvent trop important entre le conseiller et l’acheteur.

 

Les banques et les séniors

Alors que les banques françaises affinent de plus en plus leur segmentation de la clientèle grâce à l’analyse des données collectées, et rivalisent d’ingéniosité pour proposer des offres et des services aux cibles qu’elles considèrent comme « porteuses » (étudiants, actifs, clientèle privée, etc.), on peine à trouver des offres et des services dédiées à la clientèle des seniors, alors même que les établissements bancaires martèlent des messages de communication autour de la proximité et l’accompagnement des clients tout au long de la vie.

Globalement, les établissements bancaires abordent ce marché avec des offres focalisées sur des produits plus que sur des besoins ou une approche avec des moments de vie.

 

Les seniors : une clientèle plus risquée ?

Il convient de se demander pourquoi les établissements bancaires cherchent à tout prix à séduire une clientèle plus jeune ?

En effet, les séniors qui ne sont plus en activité touchent une retraite régulière. Côté santé, on constate une nette amélioration de l’espérance de vie en bonne santé, et il existe des solutions d’assurance pour les populations plus risquées.

Côté demande, on l’a vu, les seniors ont encore des projets. Aussi pourraient-ils avoir besoin de nombreux services bancaires ou assuranciels :

  • Financements pour des biens de consommation (automobile, voyages, loisirs, etc.).
  • Prêts immobiliers, pour investir pour sa descendance ou sa fin de vie. S’il semble évident qu’une banque peut être frileuse à l’idée de prêter sur 20 ans à un client de plus de 60 ans, il existe de multiples solutions autour de la prise de garantie pour permettre de réaliser le projet (apporter en garantie réelle des éléments de patrimoine par exemple).
  • Moyens de paiement adaptés à leurs usages.
  • Produits d’épargne répondant à leurs problématiques spécifiques (préparation de la transmission, besoins de revenus, etc.).
  • Conseils autour de la fiscalité, des investissements diversifiés, des dispositifs d’aide à mettre en place pour ses proches, etc.
  • Produits d’assurances et prévoyance dédiés.

S’ajoute à cela que la clientèle des séniors est fidèle. Le phénomène de migration bancaire et le taux de multi bancarisation est plus faible chez les seniors : 70% détiennent leur compte dans la même banque depuis plus de 15 ans, avec un taux de multi bancarisation estimé à seulement 26%.

Cela étant, il n’en demeure pas moins que la clientèle senior est difficile à adresser compte tenu des situations très hétérogènes de cette population : perte du conjoint, successions, niveau des revenus, rapport à la dépendance.

 

Quelques initiatives des banques françaises en faveur des seniors

Globalement, les établissements bancaires français proposent tous des offres et des services qui peuvent (plus ou moins) convenir à la clientèle des séniors. En revanche, ils sont peu à adresser spécifiquement leurs besoins.

Le Groupe La Poste, notamment au travers de la Banque Postale, fait figure de précurseur avec une offre de prêts immobiliers pour les plus de 60 ans. Il commercialise aussi une complémentaire santé intégrant la téléconsultation qui permet de joindre un médecin 24h/24 et un accompagnement en cas d’hospitalisation. Le Groupe a également développé l’offre ARDOIZ, composée d’une tablette, incluant un bouquet d’applications et de services dédiés exclusivement aux seniors.

Enfin, citons l’offre de service « Veillez sur mes parents », qui se révèle être une réponse attendue par la société qui a pris conscience de la solitude de ses ainés notamment à la suite de la grande canicule de 2003. Cette offre permet de combiner les visites régulières du facteur au domicile et la téléassistance 24h/24.

Du côté des caisses régionales du Crédit Agricole, des initiatives se lancent localement sous la forme de partenariats avec des acteurs locaux mais aussi autour de réflexions sur le statut des « aidants », et sur les moyens de les accompagner dans ce parcours.  Un appel à projet national a d’ailleurs été lancé par le groupe Bancaire du 1er mars au 30 avril 2021 destiné à soutenir financièrement des projets associatifs locaux répondant aux besoins des aidants.

 

Les Start up et les Fintech à l’assaut de la clientèle des séniors

Même si la clientèle la plus âgée, N’a pas toujours été la plus sensible aux innovations bancaires, quelques Fintech se sont saisies du sujet pour proposer des produits répondants aux besoins de nos actifs retraités. Citons 2 exemples :

  • Senioritis est la première plateforme de financement dédiée exclusivement aux seniors. Elle propose une large gamme de prêts (immobiliers, relais, hypothécaires) qui peuvent être souscrit jusqu’à 75 ans.
  • La startup PapyHappy, plateforme indépendante collaborative et comparative, qui propose d’apporter une solution honnête et claire aux séniors ou aux familles pour les aider à trouver la meilleure solution de logement dans les meilleures conditions.

 

Financer la Silver Economie : un axe RSE

Financer le « bien vieillir » est un axe majeur de la politique RSE des établissements bancaires. Et les projets se multiplient, démontrant l’intérêt et le dynamisme de l’investissement des établissements bancaires dans la Silver Economie.

En octobre 2021, Amundi et La Banque des Territoires investissaient 11 millions d’euros dans France Béguinage[4] pour soutenir le développement des logements accessibles aux personnes âgées en situation de fragilité sociale ou financière.

Du côté du Crédit Agricole, le groupe s’est associé à nouveau à la Banque des Territoires pour étendre les maisons Age&Vie du groupe Korian, système de colocation entre seniors.

Le Crédit Mutuel de Loire Atlantique et du Centre Ouest a créé la fondation Cémavie, reconnue d’utilité publique, qui finance l’ouverture de résidences médicalisées et de maisons de retraite (EHPAD), tout en déployant un service novateur d’accompagnement à domicile.

 

Pas assez « sexy », mon papy ?

Nous vivons une évolution démographique majeure dont les conséquences sur la société sont immenses. Dans le même temps, les établissements bancaires revendiquent leur rôle de partenaire tout au long de la vie. Ils souhaitent s’engager pour accompagner les transformations sociétales et commencent à investir largement dans de nombreux projets autour du bien vieillir.

Pourtant, nos aînés ont souvent été une cible délaissée : messages peu « glamours », manque d’opportunités commerciales, menace de faible attrition ? Les raisons ne manquent sans doute pas.

Offres et services bancaires dédiés à la clientèle des plus de 60 ans, nouveaux canaux d’information et de distribution : les marges de manœuvre d’innovation sont importantes. Et si les banques ne s’en emparent pas, d’autres s’en chargeront.

La banque des seniors, qui concernera 30% de la population française en 2030, reste donc à inventer.

 


[1] Ministère de l’économie des finances et de la relance

[3] INSEE

[4] France Béguinages est une foncière d’utilité sociale du groupe Vivr’Alliance qui construit, gère et anime des logements accessibles aux personnes âgées en situation de fragilité sociale.