Dans le contexte actuel (crise sanitaire, télétravail prolongé, gestion du confinement puis du déconfinement, ...), les organisations ont dû s’adapter en un temps record. Avec 40% des salariés français passés au télétravail prolongé en à peine quelques jours, les managers se doivent de renforcer leur accompagnement, bien au-delà de la gestion habituelle de leur équipe.
Pour mener à bien cet accompagnement 100% digital, les managers sont invités à mobiliser des compétences spécifiques, les mal nommées « Soft Skills », les compétences comportementales, qui sont en réalité « hard » à maitriser car touchant aux qualités humaines, personnelles et relationnelles avec les autres.
Parmi elles, une en particulier sera développée ici, l’intelligence émotionnelle.
L’intelligence émotionnelle peut être définie comme l’aptitude d’un individu à percevoir, comprendre, gérer et analyser les émotions afin de mieux les prendre en compte dans sa réflexion, ses réactions et ses décisions.
On comprend dès lors, qu’à une époque où le pouvoir hiérarchique s’estompe, les managers se doivent de maîtriser ces soft skills et notamment l'intelligence émotionnelle.
La raison en est que la dimension humaine du rôle des managers est fondamentale dans le succès tant des transformations profondes que des adaptations régulières que les organisations doivent mener. Qu’il s’agisse de cultiver un climat propice à l’innovation ou de conduire le changement, la prise en compte des émotions permet, comme le suggère l’étymologie du mot, de « mettre en mouvement » les équipes et leurs membres.
L’exemple de l’innovation
L’innovation traduit l’aptitude d’une organisation à capter des signaux de ce que sera demain et à l’inventer. Pour une réalisation innovante, bien des idées auront été explorées, abandonnées ou se seront soldées par un échec.
Une organisation dans laquelle la peur serait l’émotion dominante se priverait alors de la créativité de ses membres.
Si la peur de se tromper, d’échouer ou de consacrer du temps et de l’argent à explorer des hypothèses est présente, on se contente de bien faire le présent, voire même d’y exceller; mais, on n’imagine pas le futur. Un manager doué d’intelligence émotionnelle comprend alors la nécessité d’assurer un environnement de sécurité psychologique dans lequel les membres n’ont pas peur d’essayer, de contribuer. La réponse à l’expression d’une idée dans un environnement managé avec intelligence émotionnelle sera moins souvent « Bonne idée, mais… », que « Bonne idée, comment peut-on la tester ? ». L’innovation dans les organisations naît plus des explorations des « Comment ? », que des frustrations des « Mais … ».
De même, un management émotionnellement intelligent comprend l’intérêt de créer les conditions de nature à autoriser une émotion comme la surprise. Quand il n’est pas permis de surprendre, l’organisation se voue à un conformisme peu propice à l’innovation. Accepter, voire promouvoir le non-conformisme pour stimuler l’innovation implique pour le manager de renoncer à une partie de l’autorité conférée par sa position, d’avoir un territoire où il n’est plus en situation de contrôle. Ces situations peuvent être source d’émotions ambivalentes : de l’humilité pour reconnaitre l’apport des transgressions de processus, règles ou pratiques dont il est garant ; de l’enthousiasme pour donner à son équipe les moyens de parvenir à ne pas se conformer, tout cela dans un contexte de droit à l’erreur.
L'intelligence émotionnelle comme pré-requis à la conduite du changement
En matière de conduite du changement, l’intelligence émotionnelle est un pré-requis pour faire agir les acteurs du changement ou mieux agir sur eux en plaçant en permanence l’individu au cœur du dispositif. Une de nos convictions est que le changement ne s’enclenche et ne se maintient que par la mise en mouvement des personnes.
Les individus s’investissent plus si leur motivation est intrinsèque.
Dès lors, une attention accrue doit être accordée à la perception que les acteurs ont du changement qu’ils doivent mettre en œuvre : des émotions vont ponctuer leur parcours et le management doit savoir les anticiper, les reconnaitre et les accueillir.
La proposition va donc bien au-delà de l’utilisation des émotions pour convaincre de l’urgence à changer ou des risques encourus à rester dans le statu quo. Nous sommes en effet convaincus que les émotions plus enthousiasmantes sont de meilleurs ressorts. Elles créent un élan plus durable pour changer que le sentiment de devoir changer par crainte ou contrainte. Il s’agit d’utiliser les émotions pour chercher à créer des liens émotionnels positifs, notamment dans les plans de communication ou d’accompagnement. On peut l’illustrer par un accent mis dans les messages de communication sur les opportunités et les perspectives offertes par le changement pour les individus par rapport aux bénéfices pour l’organisation. Susciter le désir et l’envie pour faire monter à bord du changement est cardinal. C’était déjà la conviction d’Aristote et Spinoza qui disaient, l’un qu’”il n’y a qu’un seul principe moteur, la faculté désirante”, le second que “le désir est l’essence même de l’homme”.
Expliquer est fondamental et touche le rationnel, mais la différence d’investissement des acteurs est due à leur différents degrés d’adhésion au changement, à leur désir de voir ce changement mis en œuvre, parce qu’ils ont pu cerner le bénéfice qu’ils peuvent en retirer, le fameux WIIFM (« What’s in it for me » ? Qu’est-ce que cela va m’apporter ?). Quand on a envie de quelque chose, on est plus constant dans l’effort à fournir et, par conséquent, les renoncements potentiels à concéder pour arriver à la situation désirée.
Une conduite du changement visant le désir est donc plus efficiente que celle qui se focalise sur le rationnel du changement.
Mais le changement est souvent un long parcours, au cours duquel des émotions vont s’exprimer. Reconnaitre leur importance est un facteur de succès de la conduite du changement. L’indifférence d’une assistance à une présentation d’un changement à venir en dit presque autant que des réactions animées.
Vigiler les émotions est donc une part importante du plan de conduite du changement. Comprendre ce qui sous-tend ces émotions permet notamment d’ajuster les actions de conduite du changement. Par exemple, une formation à un outil peut être l’occasion de dépasser le seul enseignement aux fonctionnalités de l’outil et de conforter des réponses apportées par ailleurs. On peut construire les exercices pratiques de la formation outil de sorte qu’ils aident à matérialiser les assurances données dans la communication sur le fait que la technique ne fera pas tout et que l’expertise et le discernement de l’opérateur resteront indispensables.
Parce que l’entreprise est un collectif d’individus, parce que l’innovation, comme la conduite du changement impliquent de se projeter dans un demain différent, il est essentiel d’avoir l’intelligence de ne pas perdre de vue ce qui fait se mouvoir les individus : c’est-à-dire leurs émotions.
Article rédigé par Monique Manga de l'équipe People & Culture