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Les NFT : Une révolution en marche pour le marché de l’Art ?

Alors que l'innovation et la digitalisation transforment profondément presque tous les secteurs d'activité, le marché de l’Art, lui, n’a pas subi de changement majeur dans ses pratiques depuis des décennies. Ou presque...les récentes expérimentations innovantes avec les NFT pourraient bien marquer un renouveau pour le monde des galeries d'art et musées.

Par Florence DUGAS, Manager Finance chez Talan Consulting et animatrice du club Arts et Culture de NEOMA Alumni

Le marché de l’Art n’a pas subi de changement majeur dans ses pratiques depuis des décennies. Pour le secteur culturel au sens large, la digitalisation s’est souvent limitée à une extension des services existants : création de sites institutionnels ou de communication sur le web et création de boutiques en ligne. La fermeture des lieux culturels, dans le cadre de la gestion de la pandémie de la COVID-19, a accéléré le passage à une relation digitalisée avec le public en proposant une offre complémentaire. Les institutions, musées, fondations, galeries d’art et maisons de ventes ont dû innover.

Les expérimentations menées aujourd’hui grâce au protocole NFT ouvrent des opportunités nouvelles et disruptives. Limitées au départ aux univers virtuels, les solutions deviennent de plus en plus audacieuses, assurant le suivi et la traçabilité d’objets ou de services bien réels qui sont à même de bouleverser les règles et les rôles du marché de l’Art.  

2021 a donné lieu à plusieurs innovations en la matière qui seront présentées en détail dans cet article.

 

Un nouveau canal de vente

La première application logique est d’utiliser le protocole NFT pour vendre des objets numériques, le NFT faisant office de certificat de propriété et d’unicité.

 

Le point de départ : les jetons à collectionner

Les jetons sont des émissions de NFT qui peuvent se collectionner sur le modèle des cartes de joueurs de baseball ou les cartes PANINI.

Cette utilisation des NFT a été popularisée avec un jeu appelé CryptoKitties en 2017. Le jeu a mis en vente 50 000 dessins de chats qualifiés de « génération 0 ». Chaque chat dispose d’un code informatique propre qui le rend unique et qui définit sa représentation graphique.

Le joueur devient possesseur du code caractérisant son chat et de son image. Chaque chat est unique, composé d’un génome de 256 bits et d’un facteur chance, encapsulé dans un NFT. Le jeu permet ensuite de croiser le code « génétique » de deux chats permettant la génération d’un troisième chat. Le génome présente un potentiel de près de 4 billions de combinaisons. Le joueur collectionne les « Kitties ». Il peut ensuite les revendre, ou vendre le droit d’utiliser le « code » pour la création de nouveaux chats sur la plateforme du jeu.

Ce jeu phénomène a fait plus de 100 000 adeptes avec une vente record d’un chat à 600 ETH soit de 170 000 €.

Utilisant le réseau public Ethereum, Le phénomène CryptoKitties a permis de populariser les NFT auprès du grand public sous une forme ludique illustrant les règles de la génétique.

 

Des œuvres numériques…

Les œuvres numériques (enregistrement musical, photographie, image) sont par essences duplicables. Dès lors, le fait d’émettre une œuvre numérique en la couplant à un NFT permet de procéder à des émissions numérotées et répertoriées.

De nouveaux acteurs sont apparus avec la création de plateformes spécialisées pour vendre et échanger ces objets identifiables grâce au NFT. Ces plateformes virtuelles ont nativement utilisé le Bitcoin ou l’Ethereum pour leur commercialisation, l’artiste et l’acheteur étant en lien direct et anonyme via la plateforme.

Ces plateformes ont attiré un public issu de la tech et désireux d’utiliser leurs crypto-monnaies. Certains artistes créant des images numériques ont alors commencé à vendre leurs œuvres sous forme de NFT. Ces derniers y trouvent plusieurs avantages :

  • Un canal de vente simple et logique pour vendre des œuvres numériques,
  • Un public issu de la sphère web, sensible au numérique,
  • Une source de revenus minimisant les intermédiaires et permettant une meilleure rémunération.

 

Le phénomène a pris progressivement de l’ampleur, pour atteindre un apogée faisant la une des médias lors de la vente record d’une œuvre de l’artiste Beeple pour 69 millions $.  Beeple devenant ainsi le 3ème artiste le plus cher au monde après Jeff Koons et David Hockney en février 2021.

Cette vente a d’ailleurs été orchestrée par la prestigieuse Maison de vente Christie’s, conférant ainsi une reconnaissance du marché de l’Art pour les œuvres numériques. En effet, les maisons de vente ont fortement investi pour développer le marché des œuvres numériques et la relation digitalisée avec leurs acheteurs.
Leur objectif est de conquérir des parts sur le premier marché (vente directe par l’artiste) alors qu’elles sont nativement très présentes sur le second marché (la revente des œuvres).

 

… aux tirages digitaux numérotés

L’émission de tirages numérotés en édition limitée est déjà une source de revenus sous forme de lithographies et gravures pour les musées et les galeries. Des tirages de copies numériques de qualité, en nombre limité, traçables grâce au NFT est un nouveau medium de diffusion de ces éditions. Les NFT permettent d’étendre la palette des tirages limités, tout en proposant un produit différent au consommateur.

En mai 2021, la Galerie des Offices de Florence, en collaboration avec l’entreprise Cinello, a vendu un exemplaire numérique d’une peinture de Michel-Ange pour 140 000 euros. Au total, 17 jumeaux digitaux en haute définition de chefs d’œuvres du musée seront ainsi commercialisés sous la forme d’enchères. Chacun est émis à un seul exemplaire avec la signature du directeur du musée, et selon une technologie garantissant l’impossibilité de le copier. Ces jumeaux sont appelés DAW (acronyme de Digital Art Work).

Les acheteurs de ces DAW sont aujourd’hui de riches collectionneurs qui peuvent ainsi bénéficier de ces nouvelles éditions de luxe.

Le directeur de La Galerie des Offices, dans la Corriere Della Sera précise : « à moyen terme les ventes de NFT seront en mesure de pallier en partie les besoins financiers du musée. Ce n’est pas un changement de cap en matière de revenus, c’est un revenu supplémentaire. Mais la création d’un tel marché ne se fait pas rapidement. »

D’autres musées se sont lancés à leur tour comme la Whitworth Gallery ou encore le Musée de l’Hermitage.

 

Des innovations au service de l’expérience client

 

L’expérience VIP

La toute nouvelle plateforme Lacollection.io ambitionne de vendre des images numériques d’œuvres majeures des collections muséales. Elle permet aux musées de développer une nouvelle source de revenus via des tirages numériques numérotés de leurs œuvres majeures comme vu au paragraphe précédent, mais dans une logique plus industrielle.

Les jetons vendus sont classés en différentes catégories :

  • Unique,
  • Ultra-rare « 2 » exemplaires,
  • Limité « 1000 » exemplaires,
  • Commun « 10 000 » exemplaires.

Les prix sont fixes pour les grandes éditions. Les plus rares sont mis aux enchères. Le musée bénéficie non seulement d’un revenu lors de la vente initiale, mais en cas de revente sur le marché secondaire, 10% iront au musée et 3% à LaCollection. Cela permet de mettre en place un droit de suite sur les ventes ultérieures de ces tirages.

La première collaboration avec le British Museum propose à la vente des tirages limités de 200 estampes à l’occasion de l’exposition sur Hokusai. L’exposition permet quant à elle d’admirer 100 estampes au musée.

Aller découvrir les estampes proposées à la vente sur la plateforme permet d’étendre et d’enrichir l’expérience muséale. Elle permet aussi à des clients qui ne seraient pas allés au musée de découvrir l’artiste et ses œuvres.

Au-delà de la détention du tirage numérique : l’acheteur bénéficie de droits exclusifs, offrant une reconnaissance de son mécénat. La détention de l’image n’est pas finalement le seul but de l’achat, mais elle permet d’accéder à des services sur mesure : visites en compagnie du conservateur ou de l’artiste, entretien avec l’équipe ayant restauré d’une œuvre, soirée de gala, dîner thématique…

Le NFT est un nouveau canal pour nouer en toute simplicité un lien privilégié avec son détenteur en lui proposant des services à géométrie variable et en instaurant une relation évolutive.

 

Le passeport biométrique

Le 6 juin dernier, la maison de vente aux enchères Rouillac, en partenariat avec l’entreprise suisse Artmyn a conçu un portefeuille digital contenant l’empreinte digitale haute-définition de l’œuvre, jumeau numérique de l’œuvre physique contenant des informations essentielles pour son authentification (bordures, verso, radiographie…).

Ce jumeau garantit une authentification fiable de l’œuvre physique et fait office de certificat de propriété. Ce Biometric Art Passport (BAP) pourrait permettre à terme de suivre l’œuvre et de tracer tous ses propriétaires successifs. A terme, ce passeport offre une garantie supplémentaire d’authentification de l’œuvre originale, garantie qui s’avère cruciale pour la cotation de l’œuvre.

Reste à voir si les acheteurs et les maisons de vente valideront cet usage.

 

Transformer l’œuvre en actif financier

 

La vente sous forme de titres

En juillet 2021, la banque suisse Sygnum, en collaboration avec la société d’investissement Artemundi, annonçait la mise en vente la toile « Fillette au béret » de Pablo Picasso, sous forme de token (parts numériques) en utilisant la technologie blockchain. En octobre 2021, Sygnum a clôturé sa toute première vente d’Art Security Tokens (AST) et l’œuvre est désormais « partagée » entre une cinquantaine de copropriétaires.

Ces parts sont désormais disponibles sur le marché secondaire SygnEx, la plateforme de négociation d’actifs numériques de la banque.

L’œuvre physique est stockée dans un entrepôt sécurisé en dehors des périodes de prêt de l’œuvre aux expositions. Ces acquisitions sont encouragées dans certains pays par une défiscalisation si l’œuvre est prêtée un certain nombre de fois sur une période de détention donnée.

Cette titrisation peut permettre à terme de démocratiser la vente d’œuvres emblématiques et d’assurer une transparence du marché. Les acteurs de la banque privée peuvent ainsi proposer une diversification du patrimoine par l’acquisition d’actifs sur le marché de l’art à une clientèle intermédiaire pour laquelle ce type d’investissement n’était guère accessible auparavant puisque la mise de départ était trop importante.

Cette nouvelle offre s’accompagne d’une gamme de services accompagnant la détention de l’actif : stockage, gestion des prêts, service de restauration, mise en valeur des droits de reproduction, etc.

 

Le démembrement

Les galeries virtuelles se développent permettant de proposer dans les métavers l’exposition d’œuvres et des services similaires aux galeries physiques.

L’étape ultime serait la création d’une nouvelle génération de musées privés, fondations d'entreprise où l’ensemble des œuvres physiques exposées au public seraient détenues sous forme de titres NFT par des particuliers. Avec cette nouvelle forme de démembrement, le musée aurait ainsi l’usufruit des œuvres physiques en garantissant l’exploitation des œuvres et leur rotation sur le marché de l’Art, les investisseurs privés détiendraient un actif plus liquide et plus facile à échanger.

 

Une option pour recycler les cryptomonnaies

Les détenteurs de portefeuilles de crypto-monnaies cherchent à investir leurs avoirs parfois importants sans repasser par l’étape du change et avec l’objectif de n’être pas redevable de taxes ou impôts.

La vente d’œuvres sous forme de NFT propose une nouvelle offre de produits pour investir ces avoirs, offrant la possibilité de transformer en actifs ou services tangibles des gains issus du monde virtuel.

En proposant à la vente des NFT, les musées sont à même de capter ces flux financiers. L’offre pour dépenser ces crypto-monnaies reste encore peu diversifiée et trop souvent cantonnée à la sphère virtuelle. Certains détenteurs de portefeuilles comportant un nombre important de crypto-monnaies peuvent choisir l’option de dépenser dans les produits NFT proposés par le marché de l’Art.

Si nous reprenons l’exemple de la plateforme Lacollection.io, son fondateur a volontairement choisi de proposer l’acquisition des tirages numérotés aussi bien en Ether qu’en carte bleue. L’usage à ce jour de ces deux options de paiement révèle deux tendances :

  • 50% des ventes de NFT sont payées en Ethereum. Une part de ces ventes n’auraient peut-être pas été faites en euros via les canaux habituels. Les musées bénéficient donc ainsi d’une nouvelle clientèle et captent une nouvelle source de revenus.
  • 50% des achats sont faits en Carte Bleue. Cela démontre que des collectionneurs classiques peuvent être également intéressés par l’expérience de tirages digitaux.

 


Bibliographie pour aller plus loin :